Enfant martyr de Kanata: un père, deux personnalités

Louis-Denis Ebacher
Le Droit

 

Deux personnalités sont entrées en conflit dans l’esprit d’un père d’Ottawa accusé d’avoir torturé et affamé son fils de 11 ans en 2013. Selon le psychologue de l’accusé de 44 ans, un «policier» et un «musicien» ont poussé l’homme au masochisme, entraînant avec lui son fils dans des abysses «incestueux».

 

Le procès du policier suspendu de la Gendarmerie royale du Canada se poursuit cette semaine, alors que l’avocat de la défense, Me Robert Carew, tente d’établir que son client est non criminellement responsable.

 

Le père a souffert de la guerre dans son pays natal, le Liban, et a été victime d’abus sexuels dans sa jeunesse. Il a été agressé par des enseignants et vu des victimes agresser d’autres jeunes par la suite. La défense veut appuyer un diagnostic de trouble de stress post-traumatique déjà fait par son psychologue.

 

Le père a entre autres filmé une scène de torture où il tente d’expier les péchés «sataniques» de son fils, qu’il avait dénudé et attaché dans le sous-sol familial.

 

Le psychologue, qu’on ne peut identifier en vertu d’une ordonnance de non-publication, a traité le père et témoigné jeudi.

 

«Le stress post-traumatique entraîne une situation où le masochisme prédomine», explique le psychologue. D’un côté, le «musicien» en lui était hypersensible à son environnement; de l’autre, la personnalité «policier» tentait d’empêcher cette hypersensibilité.

 

«Les deux personnalités ont des perceptions discordantes de la réalité, a expliqué le psychologue. Le musicien au caractère masochiste, en raison des agressions subies dans son passé, a tendance à grossir l’effet stimulant. […] Sa perception de la réalité passe par l’hyperstimulation du danger, du risque et de la séduction.»

 

Le père, faut-il le rappeler, était choqué par les «comportements sexuels» de son fils, qui avait montré de l’affection pour une fille. Le père pouvait percevoir un sourire comme une agression sexuelle, selon ce qui a été entendu pendant le procès.

 

«Puis, la personnalité “policier” est biaisée dans l’autre sens, poursuit le spécialiste. Il veut empêcher la stimulation qui arrive au musicien. Il a tendance à écarter et à assurer un certain isolement à la personnalité du musicien.»

 

L’isolement, que le psychologue a décrit comme une nécessité pour prendre du recul dans des périodes difficiles, était impossible à obtenir. Son fils était «difficile», son travail de lutte au terrorisme à la GRC était stressant, et le reste de sa famille devait aussi être pris en compte à temps plein. «Si Monsieur avait pu trouver un certain isolement au début, rien de tout cela ne serait arrivé. Les événements, continuels, ont provoqué cette aventure.»

 

Quant aux scènes horribles filmées par le père dans le sous-sol familial, le docteur a analysé le tout en disant que la caméra servait en quelque sorte de «troisième personne (dans une situation) où la dualité était excessive et intolérable».

 

«Monsieur était pris dans une situation qu’on appelle “incestueuse”, a poursuivi le témoin. C’est-à-dire que chacun (le père et le fils) stimule l’autre sans limites.»

 

Cette discussion filmée et les tortures infligées étaient une «mesure d’urgence» ou une «mesure en temps de guerre» pour le père, qui voyait son fils comme un ennemi, un «flasback intense» de sa propre expérience de jeunesse. «Mon client voyait son fils susceptible de faire la même chose» que les autres enfants de son époque, au Liban.